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25 novembre 2020

Fabien Nierengarten

À nos héros obscurs

"Le malheur, l'isolement, l'abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros. Des héros obscurs, plus grands parfois que les héros illustres".
Victor Hugo se retournerait sans doute dans sa tombe et s'évaderait même du Panthéon, en apprenant que les "champs de bataille" ainsi évoqués dans les Misérables, sont encore aujourd'hui, jonchés de millions de victimes. Tant de femmes et tant d'hommes qui sont un jour tombés par terre, le nez dans le caniveau, sans que ce ne soit la faute à Voltaire ou à Rousseau.
"Engagez-vous, qu'ils disaient !"
Flanqué de Jean Valjean, de Cosette, de Gavroche, et même de Javert et des Thénardier, il partirait sans plus attendre à la recherche de ces "héros obscurs", ces guerriers de l'ombre déterminés à combattre les fléaux qui rendent si infâme et si honteuse, notre société qui aime pourtant se la jouer si épanouie et si heureuse.
Sans doute, croiserait-il alors la route de ces bonnes âmes qui pratiquent beaucoup, passionnément, et parfois même à la folie, le bénévolat, "ce bel art de la gratuité du cœur, du geste et du temps". Toutes celles et tous ceux qui, fidèles à la pensée d'Albert Schweitzer, se mobilisent pour soulager la souffrance des autres, parce qu'eux-mêmes ont peut-être eu la chance d'en être épargnés.
"Travailler, c'est trop dur, mais..."
Cependant, notre grand écrivain ne s'arrêterait pas en si bon chemin. Celui qui estimait dans son poème "Mélancholia" qu'un "vrai travail, sain, fécond et généreux, rendait le peuple libre et l'homme heureux", s'engagerait probablement, avec beaucoup de vigueur, non pas contre l'oisiveté, dont on dit qu'elle serait la mère de tous les vices, mais contre le chômage, qui lui est assurément le père de nombreux sévices.
Des sévices causés, en premier lieu évidemment, à la vie matérielle de ceux qui les subissent, ainsi que de tous leurs proches qu'ils embarquent bien malgré eux dans leur galère, et avec qui ils doivent ramer au quotidien pour satisfaire les besoins les plus primaires. Mais il y a aussi ces sévices encore plus graves et encore plus profonds, car portés à ce que l'être humain a sans doute de plus précieux, à savoir sa dignité et sa liberté, comme l'abbé Pierre le répétait jusqu'à son dernier souffle de révolte.
Car avoir un travail, ce n'est pas seulement disposer d'un revenu plus ou moins sûr, c'est aussi disposer d'un atout essentiel pour son épanouissement et pour son équilibre personnel, ainsi que d'une garantie de considération et de statut social.
Avoir un travail, ça permet de gagner sa vie, mais c'est aussi apprendre, évoluer, rencontrer, partager, et au final, réussir. Oui, avoir un travail, c'est disposer d'un bien irremplaçable à bien des égards, car il permet à un homme ou à une femme de rester debout. Ou de se relever, après être tombé à genoux.
"We need you !"
Coluche aimait à dire ceci : "je suis la manivelle des pauvres, je leur remonte le moral". On n'en est heureusement plus à vouloir combattre la pauvreté juste en étant rigolo. Aujourd'hui, ce qu'il faut, c'est avant tout avoir un boulot. Si possible, rémunéré à la hauteur du mérite de chacun, afin que la vieille expression "pauvre comme Job" ne puisse plus jamais laisser croire qu'on parle d'un travail mal payé.
Plus que jamais, après la terrible crise qui sévit actuellement, nous aurons donc besoin de tous les "héros obscurs". Pas seulement de ceux qui s'évertuent à agir en "réparation" du désœuvrement, mais aussi et surtout, de ceux qui acceptent de s'engager en "prévention" de ce mal dont notre société ne sait pas se débarrasser. Sans doute parce qu'elle contribue elle-même à sa production.
Oui, plus que jamais, nous aurons à nouveau besoin de la mobilisation de l'ensemble des acteurs de l'emploi, à commencer évidemment par ces chefs d'entreprise courageux et audacieux qui oseront faire confiance avant de songer à la performance. Certainement parce qu'ils savent qu'en donnant un travail, on n'offre rien, on sème.
Plus que jamais, nous devrons aussi pouvoir compter sur la bonne volonté, l'adaptabilité, la combativité et la ténacité de chaque demandeur d'emploi. Car c'est connu, on ne fait jamais le bien de quelqu'un contre son propre gré. Alors, mesdames, messieurs, chers amis, n'ayez pas peur ! Au contraire, cherchez, prospectez, osez, candidatez, persévérez, foncez ! Il y a tant à gagner au bout de ce parcours du combattant.
Et avant tout, méditez cette citation d'un célèbre écrivain du 19ème siècle : "la racine du travail est parfois amère, mais la saveur de ses fruits est toujours exquise". Mince, comment s'appelait-il déjà ? Ah oui, j'ai trouvé : Victor Hugo. Comme par hasard.