Reporterre - Laure Noualhat - 6/8/2025
Clément Lemaire, producteur de betteraves bio dans l'Aisne. © Jérômine Derigny / Reporterre



Face à la loi Duplomb, ces betteraviers bio montrent qu’un autre modèle est possible

Présentés comme indispensables à la culture de la betterave par les soutiens de la loi Duplomb, les néonicotinoïdes n’ont pourtant jamais fait partie de l’arsenal de Clément et Élodie, agriculteurs bio dans l’Aisne.
Dizy-le-Gros (Aisne), reportage
Dans leur champ de betteraves sucrières, pris en sandwich entre deux parcelles de maïs vigoureux, Clément et Élodie Lemaire contemplent, ravis, les rangées de feuilles charnues qui se déclinent en camaïeux de vert. Sous les feuilles en panache, les betteraves sucrières, couleur craie, poursuivent leur croissance jusqu’à la récolte de septembre. Sauf peut-être celles au feuillage jauni et cramoisi, qui boudent un peu au milieu de cette marée verte.
Les plants abîmés sont victimes du virus de la jaunisse (Closterovirus flavibetae), transporté d’une plante à l’autre par diverses variétés de pucerons, contre lesquels les soutiens de la loi Duplomb ne voient qu’un remède : l’acétamipride, pesticide interdit en France depuis 2018 et présenté comme indispensable aux betteraviers malgré ses dangers pour la biodiversité et la santé humaine. Pourtant, certains producteurs, comme Clément et Élodie, se sont toujours très bien passés de ce néonicotinoïde, comme des autres produits phytosanitaires.
« Fin mai, sur certaines betteraves, j’ai bien vu plusieurs centaines de pucerons par plante », raconte Clément en montrant une photo de ses tubéreuses prises d’assaut par des colonies de pucerons. Mais le jeune cultivateur n’a recouru à aucune molécule chimique pour protéger ou booster ses betteraves, dont il produit 600 à 1 000 tonnes par an : depuis les semis de mars, il a simplement désherbé mécaniquement sa parcelle et laissé faire la nature. Les coccinelles présentes se sont repues des pucerons noirs agglutinés sur les plants. « Si on laisse de la place aux prédateurs du puceron, tout se passe bien », dit-il.
Sans l’acétamipride, la filière sucre s’effondrerait en France, affirment pourtant ses soutiens. Laurent Duplomb, le sénateur (Les Républicains) à l’origine du texte, dénonce même une « concurrence déloyale », le néonicotinoïde étant autorisé dans les autres pays de l’Union européenne.
Se passer de l’arsenal chimique
Clément et Élodie vivent très bien sans, dans leur ferme de 240 hectares de Dizy-le-Gros (Aisne), où se côtoient quatorze cultures : de la luzerne, du blé, de l’épeautre, du colza, des lentilles, des pois… Bref, un petit havre d’autonomie alimentaire converti en bio, dès son installation en 2017. Le champ compte quelques chardons, des adventices, mais aussi des abeilles, des coccinelles, des vers de terre et pas mal d’insectes rampants.

Clément et Élodie Lemaire, agriculteurs bio dans l’Aisne, dans leur champ de betteraves. © Jérômine Derigny / Reporterre
Clément a abandonné sa carrière tranquille d’informaticien pour reprendre cette ferme à la suite de son père, partisan de l’utilisation de produits phytosanitaires. Son épouse, Élodie, a renoncé à son travail d’opticienne pour se former à l’entrepreneuriat agricole et l’accompagner dans cette aventure.
Clément a souvent discuté avec son père – mort d’un cancer du pancréas – de son passage en bio. « Cela ne lui plaisait pas forcément, il avait du mal à changer ses habitudes. Pour lui, comme les produits phytos faisaient du bien aux plantes, ils faisaient forcément aussi du bien aux hommes. »

Une coccinelle, qui se nourrit des pucerons transmettant la jaunisse aux betteraves. © Jérômine Derigny / Reporterre
Les biocides, engrais et autres produits phytosanitaires avaient toujours eu droit de cité sur l’exploitation. Clément se souvient d’un père obligé de se dévêtir avant de rentrer à la maison après les aspersions de produits, d’un grand-père pratiquant les mélanges dans les cuves à mains nues ou du scaphandre requis pour traiter ses cultures…
Pour lui, impossible d’utiliser tout cet arsenal chimique. « Je préfère essayer de comprendre comment ça marche, pourquoi telle ou telle culture a des problèmes, plutôt que d’appliquer des recettes toutes faites. » « D’autant que tu n’aimes pas faire la cuisine ! » rigole Élodie.

Une betterave récoltée dans le champ de Clément et Élodie Lemaire. © Jérômine Derigny / Reporterre
Plutôt que des pesticides, le salut des producteurs pourrait d’ailleurs venir des betteraves elles-mêmes. « La filière sera beaucoup plus sereine quand les semenciers mettront sur le marché des variétés moins appétantes pour le puceron », estime Fabienne Maupas, directrice du département scientifique de l’Institut technique de la betterave. Car au-delà du recours aux produits phytosanitaires, la filière betteravière travaille également sur la mise au point de variétés plus résistantes aux pucerons et aux virus. Un travail en cours qui va se poursuivre encore quelques années.
« Pourquoi rien n’a été mis au point avant ? » s’étonne Clément, alors que la question des néonicotinoïdes agite le secteur depuis des années. Peu importe les prochaines variétés, le couple – qui a signé la pétition contre la loi Duplomb – se sent léger et droit dans ses bottes en caoutchouc : « Nous, dans ce débat, on n’a plus à se poser de questions. On a appris à faire sans et puis c’est tout. »