Michel Spitz
2/9/2025
Église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du plateau d’Assy Passy - Haute-Savoie 1946
Voilà ce qu’on appelle encore aujourd’hui la leçon d’Assy. Église des malades, église de montagne dialoguant avec le ciel, Notre-Dame-de-Toute-Grâce a réconcilié l’Église institutionnelle avec l’art vivant ; elle est en cela la référence du renouveau de l’art sacré au XXe siècle. Elle entrera dans l’histoire de l’art avant même sa consécration, mais ne sera complètement protégée qu’en 2004.
L’église, destinée à la station de cure et aux sanatoriums récemment aménagés et alors seulement pourvus de chapelles ou lieux de culte distincts, a été conçue par l’architecte Maurice Novarina, retenu à l’instigation du chanoine Jean Devémy. L’exécution du gros œuvre a commencé en 1937 et s’est achevée avant la guerre. L’édifice a été terminé en 1946 et consacré en 1950. Le décor intérieur et extérieur en fait un musée d’art moderne et d’art sacré, fruit de l’amitié entre le père Couturier, avec des œuvres de Georges Rouault, Pierre Bonnard, Fernand Léger, Jean Lurçat, Germaine Richier, Jean Bazaine, Marguerite Huré, Henri Matisse, Marc Chagall, Georges Braque, Jacques Lipchitz... Le long de la route qui monte à Assy sont également présentées des sculptures de Calder, Féraud, Semser, Cardenas ou Gardy Artigas.
La commande la plus marquante est celle, passée en 1949, à Germaine Richier, du Christ installé dans le chœur en position centrale. Sans croix, d’un corps décharné marqué par le souvenir des rescapés de la Shoah comme par la lecture du serviteur souffrant (Isaïe 53), la figure s’impose par sa violence tragique à nulle autre pareille. L’expressionnisme pathétique du corps n’empêche pas que les gestes des bras immensément ouverts se montrent résolument accueillants, paternels. Et, sur le visage mutilé, déformé et déshumanisé par la souffrance, se lit dans la déchirure même des traits une grandeur, une puissance que rien ne peut désarmer. Jésus du Vendredi Saint, Jésus de la gloire dans la croix, crucifix dans lequel seule la patine dorée du bronze laisse entrevoir une promesse d’aube.
La violence de l’œuvre suscite la polémique, attisée autant par des groupuscules traditionnalistes que par une photographie en noir et blanc qui assombrit encore la figure. Et, pour étouffer le problème, la décision est prise le 1er avril 1951 par l’évêque d’Annecy, Monseigneur Cesbron, de retirer l’objet du scandale de la chapelle qui a été consacrée le 4 août 1950. Il y eut des cris, des protestations, des clameurs violentes, qui paraissent aujourd’hui plus que légitimes face à l’arbitraire d’une décision injuste, non fondée esthétiquement. Il y eut surtout ce qu’on nomma « la querelle de l’Art Sacré » entre les tenants d’une église et d’un art modernes et la position romaine, attachée à une tradition sans vie.