Ute Dahmen
Mon souvenir de Raymond pour mes amis français avec, je l'espère, pas trop d'erreurs.
"Raymond a rejoint le paradis". La nouvelle annoncée vendredi soir par un ami était d'une triste finalité : l'artiste Raymond E. Waydelich est mort. Il s'est éteint le 9 août à l'âge de 85 ans. L'Alsacien était passé maître dans l'art de faire pousser des ailes à l'imagination. Avec légèreté, élégance et beaucoup d'humour, il volait, comme les personnages de ses tableaux, à travers les continents et les siècles. C'était un voyageur du temps, un archéologue du futur, comme il se qualifiait lui-même. Mais il était toujours bien ancré dans son pays. Avec Raymond E. Waydelich, c'est une partie de l'Alsace qui disparaît.
Raymond est né le 14 septembre 1938 à Strasbourg-Neudorf. Il a fait un apprentissage de sculpteur sur bois dans l'atelier de son père et a ensuite étudié dans les écoles d'art de Strasbourg et de Paris. De 1959 à 1962, il est photographe de l'armée en Algérie. La visite de sites de fouilles a éveillé son intérêt pour l'archéologie. L'idée d'archiver des objets usuels et de les conserver pour les générations futures a mûri. En 1978, Waydelich a présenté à la Biennale de Venise son "Homme de Frédehof", un environnement tel qu'il pourrait être trouvé par les archéologues dans un avenir lointain. Dans le parking souterrain du musée des Augustins à Fribourg, il a immergé deux voitures en 1984, et sur la place du Château à Strasbourg, en 1995, une chambre en béton remplie de messages et de souvenirs qui ne pourra être ouverte qu'en 3780 après J.-C.. À la Robertsau, dans un jardin ouvrier, se trouve une cabane de jardin en bronze de Waydelich, sous laquelle sont entreposés des tonneaux de graines et de plants à redécouvrir par les botanistes des siècles futurs.
L'idée de savoir comment les gens du futur se souviendront de nous le fascinait tout autant que notre vision du passé. Depuis le début des années 1970, Raymond a créé des boîtes d'objets pleines de poésie, des "Mémorisations", dans lesquelles il a disposé de vieilles photographies, des coupures de presse et des objets trouvés. Chaque "kischt", comme il disait, raconte sa propre histoire. Mais la plus belle histoire, c'est la vie qui l'a écrite. En 1978, Raymond a découvert sur un marché aux puces strasbourgeois le journal de Lydia Jacob, une couturière décédée depuis longtemps, à qui elle avait confié son rêve d' "être une grande créatrice de mode". "Je t'aiderai et tu m'aideras", promit Waydelich, qui signa d'emblée ses travaux de son nom, mais aussi du sien. Aux côtés de Rosita, son épouse argentine, Lydia devint la muse de sa vie. La petite couturière, comme son partenaire, devint célèbre.
Rien n'échappait à Raymond, observateur attentif et bon auditeur. Tout pouvait être source d'inspiration et stimuler son esprit de recherche. La mythologie grecque a fait son entrée dans son œuvre, tout comme l'artisanat africain, les westerns cultes de Hollywood, le roman "Heidi" de Johanna Spyri ou la "Schmierwurscht" de la Forêt-Noire. Et bien sûr l'Alsace : toujours des cigognes et la légendaire Bugatti de Molsheim. Dans ses gravures, qui ressemblent parfois à d'anciennes peintures rupestres, les animaux, les hommes et les véhicules semblent flotter en apesanteur sur la surface de l'image, toujours sur un pied d'égalité. C'était sa vision du monde : l'amour de la nature, la foi en l'homme et le respect de ses réalisations. Son attention sans fard, son intérêt sincère pour son interlocuteur, son humour irrésistible, son charme malicieux et sa franchise enfantine rendaient chaque rencontre avec Raymond E. Waydelich unique. Waydelich est unique. Et, ne l'oublions pas, son dialecte alsacien, gottverdammi !
Waydelich aimait et connaissait l'Alsace comme sa poche - et tout le monde le connaît. Partout où Raymond se rendait, il était accueilli en ami. Des expositions internationales, des œuvres dans des collections et dans l'espace public témoignent de son estime. En 2017, les Strasbourgeois ont afflué à Offenbourg lorsque la Städtische Galerie et le Kunstverein ont célébré l'œuvre de Waydelich dans une grande rétrospective. En remerciement, il a offert 69 œuvres graphiques à la ville d'Offenbourg. Dans un livre qui accompagnait l'exposition, Raymond répondait à la question de savoir où il aimerait vivre : "Là où je suis - en Alsace et dans le pays de Bade". C'était un bâtisseur de ponts, un ami fidèle. Dans sa propriété de Hindisheim, il y a une chapelle où se côtoient des saints et des sculptures d'animaux. Nous allumons une bougie pour toi, Raymond ! Tous nos vœux pour ton grand voyage dans le temps ! Nous nous retrouverons en 3780 à Strasbourg, lorsque ton "tombeau du futur" pourra être ouvert. D'ici là, ä großer Kuss !