Translate

18 janvier 2022

L’affaire Novak Djokovic

Jean-Pierre Luminet

Passionné de tennis depuis des décennies, j’ai évidemment suivi de près l’affaire Novak Djokovic pour sa participation ou pas à l’Open d’Australie, sans encore la commenter. M’amusant quelque peu en revanche de lire sur Facebook les innombrables commentaires de personnes qui ne connaissent rien ou pas grand chose à ce sport extraordinairement exigeant, tant sur le plan physique que psychologique.
Ces personnes ignorent probablement que Jérémy Chardy, joueur français classé sept années durant dans le top 50 mondial, après avoir reçu une première dose de vaccin en septembre 2021 a été victime de complications qui l’ont éloigné des entraînements et de la compétition depuis cinq mois. On est très soulagé qu’il ne soit pas décédé à l’instar de dizaines d’autres jeunes sportifs de haut niveau dont on trouve aisément la liste dans les archives de leurs fédérations respectives, mais au sujet desquels les médias aux bottes du pouvoir font prudemment silence.
Ils ignorent certainement que le numéro mondial du tennis en double et dont il n’ont jamais entendu parler, le français Pierre-Hughes Herbert, qui a pourtant remporté 5 tournois du Grand Chelem aux côtés de son partenaire Nicolas Mahut, a lui fait le choix de ne pas se faire vacciner et de le déclarer publiquement, sachant qu’il prenait le risque de mettre par là-même un terme à sa riche carrière.
Il est clair que Novak Djokovic avait fait le choix – jugé pertinent ou pas selon que l’on soit covidiste forcené ou pas – de ne pas être vacciné, mais surtout le choix incontestablement pertinent de ne pas divulguer son statut vaccinal, qui relève du droit fondamental de l’être humain qu’est le secret médical, mais qu’à l’occasion de la pandémie de Covid les autorités de nombreux pays, celles de l’Australie et de la France faisant partie des pires scélérates, prétendent outrepasser.
On peut comprendre que les médias se focalisent exclusivement sur le cas Djokovic – célébrité oblige – en oubliant les Herbert, Chardy et quelques autres voix contestataires du monde tennistique. Dans sa quête sportivement justifiée de remporter l’Open d’Australie 2022 afin de battre le record qu’il co-détient actuellement avec Roger Federer et Rafael Nadal du nombre de victoires en tournois du Grand Chelem (20, ce qui est déjà en soi hallucinant), l’actuel numéro mondial avait demandé une exemption (ce que n'avait pas fait Herbert), exemption qui dans un premier temps lui avait été accordée, ce qui lui avait permis de mettre les pieds en territoire australien.
Comme vous le savez, la nouvelle est tombée ce matin : après maintes péripéties politico-sanitaires n’ayant rien à voir avec le sport, Novak vient de se voir refuser son visa, et il est désormais traité comme un détenu délinquant avant d’être expulsé du pays.
La meilleure et plus avisée analyse de cette affaire est (à mon sens) celle que vient de faire ce matin le joueur ukrainien Sergiy Stakhovsky dans une interview que je reproduis ici. Ancien membre du Conseil des joueurs et ex 31ème joueur mondial, Stakhovsky a toujours été très actif dans la vie « politique » du circuit.
 
Quel est votre avis sur ces dix jours qui ont conduit à l’expulsion d’Australie de Novak Djokovic ?
 
Stakhovsky : Pour moi, cela n’a rien à voir avec le sport, même pas avec le droit, mais plutôt avec une histoire de politique interne à l’Australie. Malheureusement. Si Djokovic n'avait pas eu le droit de venir en Australie, il ne serait pas venu. Mais il avait obtenu une autorisation officielle. Cependant, dès qu’il a mis le pied sur le territoire, ils ont aussitôt décidé qu'il n’avait pas le droit d’être là. Ce n’est pas très amical, n’est-ce pas ? C’est comme s'ils l’avaient laissé venir pour pouvoir en faire une histoire politique et lancer un débat autour de la vaccination.
C’est bizarre qu’ils aient rétroactivement renvoyé chez elle une joueuse qui était en Australie depuis dix jours (la Tchèque Renata Voracova, entrée elle-aussi en Australie grâce à une exemption de vaccination)... C’était basé sur quoi ? Le tennis n’a rien gagné dans tout cela. Novak n’a rien gagné, et je doute que l’Australie y ait gagné beaucoup.

Novak Djokovic connaissait les risques encourus en refusant de se faire vacciner...

Stakhovsky : Aurait-il dû ne pas venir disputer le tournoi ? C’est sa décision. Qu’il se fasse vacciner ou pas, je persiste à penser que c’est la liberté de chacun. S’il ne le fait pas, il sait qu’il va y avoir des obstacles dans la vie de tous les jours. C’est le monde dans lequel on vit aujourd’hui. Il faut s’ajuster. Personne n’a su encore comment se débarrasser de ce virus. Il faut désormais des boosters tous les six mois. Bientôt tous les mois ? Pour quelles conséquences ? On doit tous avoir à l'esprit ce qui est arrivé à Jérémy Chardy, qui a reçu une première dose et qui n'a plus joué depuis cinq mois... C’est le prix qu’il a payé pour être dans les standards.

Le gouvernement australien a considéré que Djokovic représentait un danger pour la politique sanitaire du pays. Ça vous inspire quoi ?

Stakhovsky : Si maintenant on punit des gens qui disent ce qu’ils pensent, à cause de leurs opinions, c’est un monde dangereux dans lequel on vit, c’est tout ce que je peux dire.
 
A-t-il reçu suffisamment de soutien de la part des autres joueurs ?

Stakhovsky : Il faut comprendre que le tennis est un sport individuel. On joue les uns contre les autres au quotidien. Et peut-être que certains n’ont pas tout compris, pensant encore que Novak n’avait pas reçu les exemptions nécessaires... Pour moi, c’est plutôt aux instances tennistiques qu’il faut penser quand on parle de manque de soutien. Elles n’en ont pas fait preuve. Mais elles n’en font jamais preuve. En tout cas, tous les joueurs présents dans le tableau peuvent s’estimer heureux que Novak n’y soit plus. S’il avait eu le droit de jouer, je doute qu'il y aurait eu un adversaire pour lui prendre un set. Il est mentalement très fort, et quand il est en colère, c’est quasiment impossible de jouer contre lui.

Cette affaire peut-elle endommager la stature de leader que veut endosser Djokovic ?

Stakhovsky : Cela va définitivement laisser une marque sur la PTPA (Professionnal Tennis Player Association, syndicat de joueurs dont le Serbe est le co-président). Parce qu'il va y avoir beaucoup de communication négative. Bien sûr que cela va avoir des conséquences négatives sur ce qu’il entreprend. Mais je ne vois pas ce que cela va changer sur lui. Il est très solide. Il a toujours avancé sans dévier de sa ligne, sur ce qu’il croyait être bon pour lui. Il ne va rien changer au nom de ce qui se dit dans l’opinion publique. Novak va se battre jusqu'au bout. N’oublions pas qu’il était encore très jeune pendant la guerre en Yougoslavie (il a quitté le pays à douze ans). Il a vécu des événements qu’aucun d’entre nous n’a vécus. Question mentalité, c’est une superstar. Il n’abandonnera jamais. Bien sûr, il va y avoir des pays qui vont avoir les mêmes critères qu’en Australie et les mêmes restrictions pour lui. On peut penser que c’est absurde de se priver d’un des meilleurs joueurs de l’histoire, juste parce qu’il pense différemment...