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25 novembre 2018

Tristan Denéchaud
Conseiller municipal à la Ville de Colmar

Tourisme à Colmar : transformer les risques en atouts (par une gestion intelligente)

À Colmar, la place du tourisme devient un sujet clivant, comme dans beaucoup de villes très visitées – on voit les proportions extrêmes que cela peut prendre à Venise, Barcelone ou même dans certains quartiers de Paris.

Dans notre ville, pour résumer, ceux qui profitent du tourisme – essentiellement, les hôteliers et restaurateurs – pensent qu’il faut continuer dans la voie actuelle, donc promouvoir un tourisme de plus en plus massif pour faire de Colmar une destination presque aussi courue et incontournable que Venise, justement. Beaucoup d’habitants, eux ne voient au contraire cette popularité croissante de leur ville que comme une nuisance, et voudraient revenir au moins 30 ans en arrière, dans un Colmar aussi nostalgique qu’illusoire. L’époque de la RMC et du magasin « Villes de France » est révolue…

À mon sens, les deux approches nous mènent dans une impasse. Le tourisme est un atout, et beaucoup de villes, qui se battent pour attirer les visiteurs, aimeraient avoir les mêmes problèmes que nous. Mais c’est un atout qu’il faut savoir canaliser et mettre à profit intelligemment, avec une meilleure cohabitation entre touristes, habitants et travailleurs. Faute de quoi, cela deviendra effectivement une nuisance pour la plupart des gens, à l’image du paroxysme que constituent les week-ends de décembre !

Les avantages tout d’abord. Le tourisme apporte de la notoriété et des visiteurs, une visibilité médiatique, qui remplace un bon paquet de campagnes de communication. Une clientèle à de nombreux magasins, qui peuvent aussi davantage se spécialiser et avoir une offre qu’une ville de 70 000 habitants n’aurait pas normalement. Il fait vivre, bien sûr, une hôtellerie-restauration plutôt bien portante. Il rapporte aussi aux propriétaires colmariens, notamment beaucoup de petits propriétaires qui n’habitent plus forcément sur place ou ont investi dans un appartement secondaire, de bons compléments de revenus par les locations touristiques qu’ils proposent aux voyageurs. S’ajoute à cela, pour la Ville, des recettes de stationnement payant et de la taxe de séjour. Nos visiteurs nous apportent de la richesse et du dynamisme.

Cela étant dit, pour de nombreuses raisons, Colmar ne doit pas se laisser enfermer dans le tout-tourisme.

Lorsque cet apport touristique est mal géré comme actuellement, il nous apporte aussi de nombreux inconvénients :

une notoriété à double tranchant : Colmar est connue comme une sorte d’écomusée ; une ville en couvre-feu dès 19 h, faite surtout pour les retraités aisés, avec ses rues pittoresques et ses restos. Dit comme cela, c’est une caricature. Nous savons bien que c’est en grande partie faux. Mais c’est l’image que dont notre ville souffre trop souvent à l’extérieur. Véhiculée en grande partie par les touristes eux-mêmes, qui même dans leurs compliments nous enferment dans ce cliché. Et attirent donc des touristes similaires.
un tourisme trop saisonnier, concentré sur la période de l’Avent, pendant laquelle réserver dans un restaurant devient compliqué, et la moindre chambre d’hôtel peut coûter 150 € !
un stationnement payant qui permet d’avoir encore des places disponibles, mais coûte trop cher aux habitants, et aux personnes qui travaillent à Colmar !
une taxe de séjour limitée qui rapporte assez pour faire un peu de promotion et des actions ciblées, mais toujours trop peu pour financer des infrastructures de grande ampleur au service de tous.
une évolution du tissu commercial vers davantage de produits soit typiquement touristiques (souvenirs, etc.), soit qui ne sont pas vraiment à la portée de la majorité des bourses colmariennes (Colmar n’étant pas une ville si « bourgeoise », contrairement à ce qu’affirment ceux qui la connaissent mal). Idem pour la restauration, où il devient difficile de bien manger en soirée ou le week-end pour moins de 15 euros…

Enfin, quand les limites se transforment en véritables nuisances, voilà notamment ce dont on parle tout le temps, donc inutile d’y revenir en détail : des problèmes de circulation, y compris à pied, un stationnement saturé en centre-ville, surtout le week-end, et une certaine difficulté à louer un appartement à l’année, les Colmariens faisant de plus en plus souvent de leurs locations des appartements de tourisme.

À mon sens, la première manière de rendre le tourisme intéressant pour les habitants d’une ville, c’est de susciter grâce au tourisme une offre de services et commerciale variée, en diversifiant l’origine géographique, sociologique et générationnelle des visiteurs. Avoir parmi eux davantage de jeunes, pas forcément aisés mais à la recherche de petits restos et magasins bon marché, amateurs de bars, de concerts dans des salles comme le Grillen, ce qui vient augmenter la clientèle potentielle, et donc renforcer une offre qui bénéficie également aux Colmariens ! Pour cela, on a besoin d’une politique plus accueillante pour les jeunes, les backpackers, les cyclotouristes, avec une auberge de jeunesse mieux située, des hôtels « zéro étoile », une meilleure offre bon marché, etc. Et bien entendu de savoir accueillir des gens de toutes origines, avec bienveillance, sans utiliser la naïveté de certains pour les arnaquer (on entend beaucoup d’étrangers se plaindre à ce sujet). Sans oublier de diversifier les concepts culturels. Par exemple, pourquoi ne pas délocaliser quelques concerts de la Foire aux vins, le temps d’un week-end, en centre-ville ou à proximité (Manufacture, etc.), en s’inspirant par exemple des Francofolies à La Rochelle, qui animent toute la ville ? La « Summer night » de la fin août, lancée par les bars colmariens, pourrait elle aussi être déclinée, et avoir lieu plusieurs fois dans l’année. Les rues et places colmariennes sont propices aux animations – artistes de rue, expositions à ciel ouvert, « braderies » thématiques… nous aurions bien plus à offrir que nos jolis colombages. À propos, quelqu’un se souvient-il avoir vu quelque chose se passer sur la place du 2 Février !?

Ensuite, il faut pouvoir faire du tourisme une source importante de revenus pour la municipalité et l’agglomération. Non pas pour « faire du fric », comme disent ceux qui pensent que les services publics tombent du ciel et que les impôts ne servent qu’à enrichir des élus millionnaires. Mais justement pour pouvoir financer ces services publics « en prenant le moins possible dans la poche du Colmarien », selon la formule préférée de Gilbert Meyer. Ceux qui bénéficient aux touristes (musées, parkings…), comme ceux qui sont faits pour les Colmariens uniquement (comme les écoles). Chaque euro versé par les touristes pour des services publics et des animations gérés par la Ville, est un euro de moins à demander au contribuable colmarien.

Pour cela, le premier levier auquel on pense est bien entendu la taxe de séjour. Collectée par les hôteliers pour chaque nuitée passée par une personne majeure au profit de la commune (et du département), il s’agit en quelque sorte d’une mini taxe d’habitation, qui pourrait être un peu augmentée, notamment sur les nuitées en 4 étoiles.

Un autre vecteur important de redistribution entre les touristes et les habitants d’une ville est le stationnement payant. À Riquewihr, Éguisheim ou Kaysersberg, on l’a bien compris depuis longtemps. Un stationnement gratuit partout – premier arrivé, premier servi – ne ferait que pénaliser encore davantage les Colmariens. On évoquera plus en détail le stationnement, car il s’agit typiquement d’un service public partagé entre les touristes, les régionaux et les Colmariens.

Plus précisément pour les marchés de Noël, ce n’est pas forcément aux commerçants de payer pour la sécurité. Certains paient déjà pour les cabanes, et beaucoup pâtissent même du marché de Noël, perdant leurs clients habituels qui ne sont pas forcément compensés par les visiteurs. Si quelqu’un doit payer une contribution pour les marchés de Noël, outre les touristes, ce sont avant tout les hôteliers (et restaurateurs, dans une moindre mesure), qui sont les principaux bénéficiaires de ces marchés. Avec des hôtels et restaurants qui ne désemplissent pas pendant un mois, et des chambres dont les prix doublent, voire triplent le week-end, ils font un chiffre d’affaires record, qui vient bel et bien de la poche des touristes qui sont là grâce à ces animations de Noël. Une contribution spéciale en faveur de la Ville – et donc autant de frais en moins pour le contribuable colmarien – semble être la moindre des choses. Encore faut-il savoir l’organiser et la négocier intelligemment, avec des contreparties de la part de la Ville.

La deuxième façon de faire profiter les Colmariens du tourisme comprend également une dimension financière. Elle consiste à proposer davantage de services publics et culturels, mais à des tarifs différenciés : plein tarif pour les visiteurs, prix réduit pour les gens de la région ou qui ont une activité à Colmar, et prix encore plus réduit, voire gratuité pour les Colmariens. Deux exemples pour commencer, sachant que cette logique peut s’étendre bien davantage.

Les loisirs et la culture : on vient de mettre en place à Colmar un « City Pass ». Très bonne idée, que j’avais d’ailleurs proposée en 2013 sous le nom de « Carte culture Colmar » ! (autant lui donner un nom français ou alsacien…). Mais il faudrait au moins que les jeunes qui étudient à Colmar puissent en bénéficier à prix réduit. Et que les Colmariens puissent en bénéficier gratuitement ou presque. Ainsi, les touristes profitent du nouveau « pass » à un prix encore abordable et viennent contribuer à remplir les musées, les salles, etc., tout en permettant aux locaux d’en profiter aussi, au moindre coût.

Même logique pour le stationnement. Un tarif standard pour les usagers occasionnels, et des abonnements mensuels ou annuels beaucoup moins chers pour les réguliers, qu’ils soient Colmariens ou voisins ! Actuellement, dans les parkings en ouvrage (silos et souterrains), les locaux n’ont pas de prix préférentiel. Bien sûr, ils peuvent prendre un abonnement mensuel, mais celui-ci coûte de 50 à plus de 80 € selon les parkings. Résultat : la majorité n’en profite pas, et essaie de se garer tant bien que mal autour… voire plus loin, gênant les habitants des autres quartiers. Les habitants peuvent encore prendre un abonnement résident pour se garer dans la rue, mais celui-ci ne leur donne pas accès aux parkings en ouvrage (alors qu’on cherche à limiter le stationnement sur la voirie !), et il est aussi trop cher. Enfin, pour les gens qui travaillent en ville, il n’y a aucune solution adéquate.

Pour les résidents, les abonnements aux silos et les « macarons » pour le stationnement dans la rue devraient être interopérables et coûter au maximum 1 € par jour dans le centre historique, et 0,50 € en zone verte. Et pour les gens qui travaillent en ville, une solution à 20-25 € (soit environ 1 € par jour de travail) dans les parkings en ouvrage. Le tout financé en grande partie par les touristes qui, eux, paient le prix « grand public » standard, avec un forfait journée à au moins 5 €. Alors, les Colmariens et salariés du centre-ville pourraient profiter au meilleur prix d’infrastructures rendues rentables par le tourisme.

Tout cela, comme toujours, ne peut avoir du succès que dans le cadre d’une vision globale et à long terme, et avec pédagogie, dans le respect des besoins des uns et des autres. On en est toujours aussi loin…