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12 décembre 2020

Jeux de hasard

Fabien Nierengarten

Il y a quelques mois, j'exprimais ici mon malaise face aux sommes faramineuses qu'on pouvait gagner en ayant juste le "talent" de cocher ou de gratter les bonnes cases sur le bon coupon. Tandis qu'une vie entière de travail, avec son lot de concessions, de sacrifices et parfois même de souffrances, pouvait ne pas suffire pour faire vivre une famille dignement et décemment.
Je me suis alors fait allumer par certains de mes amis FB qui estimaient que les jeux de hasard avaient au moins le mérite de "faire rêver" les Français, et qu'ils permettaient même à certains de réaliser leurs désirs les plus fous. Que l'espoir de gagner apportait à de nombreuses personnes, un peu de "bonheur" au moins pendant quelques minutes ou quelques secondes. Waouh ! Elle est belle, la vie, quand elle se résume à ça.
Hier soir, la cagnotte de 200 millions d'euros a enfin été remportée. 200 millions !!!!! Soit plus de 1,3 milliard de francs pour les anciens !! Et plus de 130 milliards d'anciens francs pour les très très anciens (de moins en moins nombreux, c'est vrai). Y a même plus assez de place sur nos vieilles calculatrices pour caser tous les zéros gagnés par ce héros !!
Est-ce qu'on se rend vraiment compte de ce que ça peut représenter pour un seul et même gagnant ? Environ 200 villas sur la Côte d'Azur, par exemple. Ou encore 2.000 voitures de luxe. Tout ça pour un type qui vit peut-être déjà dans un certain confort. Et qui a joué, non pas par besoin, mais juste par plaisir. Eh oui, la chance ne choisit pas son camp en fonction de la fiche de paie ou de la feuille d'impôt. Mais quelle grosse conne, celle-là !!
Franchement, ce pactole est d'une indécence pour laquelle il n'existe aucun adjectif dans aucune langue de notre planète. Surtout dans le contexte que nous connaissons, où des commerçants luttent pour leur survie, où des restaurateurs voient leur vie de travail s'écrouler en quelques semaines, où les professionnels de l'évènementiel et de la culture n'en finissent plus de gratter les fonds de tiroir, juste pour pouvoir bouffer. Et surtout, où des milliers de nos compatriotes vont de nouveau crever de faim ou de froid durant les prochains mois.
Aujourd'hui, encore plus qu'hier, ces jeux de hasard me donnent juste envie de dégueuler. Parce qu'ils sont aux antipodes de mes valeurs. Et parce qu'ils nous précipitent encore un peu plus dans un monde où le mérite ne revient pas à ceux qui le méritent, et où les gloires éphémères fondées sur du néant, sont mieux considérées que des années de boulot et de talent.
"Du pain et des jeux"... Voilà ce que les empereurs romains donnaient au peuple pour le calmer quand il grondait. Pas certain qu'on ait beaucoup évolué en une vingtaine de siècles. Ou alors, prouvons le contraire et cessons de faire croire qu'il est possible de gagner des tunes, sans bouger son cul et en n'en foutant pas une !!