Fabien NierengartenOn dit parfois qu'à quelque chose, malheur est bon. Juste histoire de se convaincre que de chaque épreuve traversée, il y a des bénéfices à retirer. Prenons par exemple l'épidémie de Covid. Sans elle, nous n’aurions jamais appris à employer couramment des termes scientifiques tels que "comorbidité", "immunodéprimé" ou encore "antigénique". Autant d’occasions de paraître en société, un peu plus intelligent qu’on ne l’est en réalité.
Mais en plus de ces mots savants, nous avons aussi progressivement adopté, durant ces deux années de galère, quelques expressions qui ont fini par devenir chez certains d’entre nous, de véritables tics de langage. A tel point que je me suis dit que ça pourrait être rigolo, ce matin, d’en faire une sorte de "hit-parade", comme on disait du temps de Guy Lux. Voici donc mon "top ten" des tics les plus névrotiques. Bien-sûr dans l’ordre croissant pour garantir un minimum de suspense.
10ème place : "J’avoue que"
Pas besoin d’un policier ou d’un magistrat pour soutirer des aveux à ceux qui débutent ainsi les phrases par lesquelles ils souhaitent exprimer une opinion toute personnelle. Même sans la présence de leur avocat, ils diront tout. Même ce qui pourra être retenu contre eux. Mais en général, aucun de leur propos ne leur vaudra l’échafaud.
9ème place : "Donc"
Ah, le fameux "donc", répété avec beaucoup de régularité et d’obstination par cet interlocuteur un peu trop nerveux. Et qui finit par résonner dans nos têtes comme une longue procession de cloches en transhumance. Ou comme une sorte de mantra destiné à étourdir un troupeau entier de vaches sacrées. Le "donc" qui rend dingue, quoi.
8ème place : "Grave"
Jusqu’à nos épiques époques, l’adjectif "grave" servait plutôt à désigner quelque chose de pénible à vivre. Bref, un truc pas très cool. Désormais, on peut "aimer grave", "admirer grave" et même "tomber grave amoureux". Pas certain que ce sens reste longtemps gravé dans le marbre de la langue française. Mais est-ce vraiment grave ? L’avenir nous le dira.
7ème place : "Voilà"
Marquant normalement la conclusion d’un récit, cet adverbe est de plus en plus souvent employé en plein milieu d’une phrase. Il peut même la rendre dramatiquement interminable. Comme par exemple dans cette interview d’un joueur de foot à qui on demande de raconter son dernier but : "Bon, voilà…j’ai demandé le ballon…voilà…mon coéquipier me l’a passé…voilà…j’ai pris le ballon…voilà…j’ai tiré…voilà…et j’ai marqué…voilà… Et voilà". Passionnant.
6ème place : "En mode"
En fait, cette expression était beaucoup plus à la mode il y a encore quelques mois, quand on l’utilisait à toutes les sauces, dans quasiment toutes les phrases qui décrivaient notre état d’esprit du moment. On était alors, par exemple, en mode "détendu ou stressé", "aimé ou détesté", "professionnel ou privé", "actif ou épuisé", bref, en mode "tout ce que vous voulez". Son usage a heureusement chuté dans le classement. Preuve qu’aucun tic n’est automatique.
5ème place : "Genre"
Sous l’influence forcément bienveillante de nos ados préférés, nous avons peu à peu adopté la théorie du genre. Pas celle qui tend à confondre le masculin et le féminin. Non, non. Plutôt celle qui conduit à construire des phrases bizarres, comme par exemple "elle était posée là, genre je ne sers à rien" ou encore "il a dit des trucs, genre je raconte n’importe quoi". Des phrases qui feraient halluciner de concert, l’ami Bescherelle et le Petit Robert. Genre c’est quoi ce binz ???
4ème place : "C'est top !"
Vous essayez de trouver un mot qui remplace à la fois fantastique, exceptionnel, extraordinaire, génial, super, et tant d’autres ? Ne cherchez plus, il est tout trouvé : c’est tout simplement "top" !!! Tout est top, voire super top. Il est vrai que "top", c’est vraiment top par les temps qui courent : facile à comprendre, facile à dire et surtout, facile à écrire. Trois lettres à taper sur son smartphone, et stop ! Hop, hop, hop !!!
3ème place : "C'est trop"
On ajoute une seule lettre au mot d’avant, et hop, c’est trop top, nous voilà déjà sur la troisième marche du podium. Dans le monde d’avant, "trop" exprimait plutôt un excès, quelque chose qui était difficile à supporter, genre "j’ai trop mangé" ou "j’ai trop picolé". Désormais, le "trop" s’accommode aussi du positif, comme par exemple dans cette formule improbable : "je l’ai trop adoré". Comme si l’on pouvait aimer passionnément ou à la folie. Du grand n’importe quoi !!
2ème place : "Effectivement"
C’est le tic verbal en pleine expansion, le tic viral qui contamine peu à peu chacun d’entre nous, bien malgré nous. Normalement destiné à confirmer ce qui vient d’être dit par notre interlocuteur, "effectivement" ne confirme presque plus rien du tout, si ce n’est notre propre difficulté à trouver nos mots pour former un propos cohérent. Répété plusieurs fois dans une même phrase, il peut même remplacer "voilà" dans le vocabulaire de ceux qui ne gagnent pas leur vie en jouant au foot. Et être prononcé, par exemple, à 35 reprises dans un entretien d’embauche de 10 minutes. Si, si, j’vous jure, c’est du vécu !!
1ère place : "Du coup"
And the winner is…le fameux "du coup", celui par lequel nous sommes de plus en plus nombreux à débuter nos prises de parole. Ecoutez donc vos amis et vos collègues. Ecoutez aussi les personnalités du monde politique, médiatique ou artistique. Et surtout, écoutez-vous. Alors, du coup, combien de "du coup" prononcés depuis hier matin ? Je crois qu’en ce qui me concerne, je dois facilement tourner à une dizaine par heure. Preuve que personne n’est à l’abri de ces tics névrotiques qui se la jouent parfois fort sympathiques. Même chez ceux qui tentent d’y résister de façon quasi héroïque.
Allez, du coup, je vous souhaite une journée... fantastique. Forcément.